Quelle est la part de responsabilité de la vue dans le plaisir que nous prenons à manger ? La vue influence-t-elle notre jugement quant aux plats que nous dégustons ?
C’est désormais ce que proposent de tester de plus en plus de restaurants. De grands chefs nous invitent à vivre une expérience unique : manger dans le noir le plus complet, de façon à faire appel à nos autres sens.
Et le verdict est sans appel : nous autres, voyants, n’exploitons que très peu ces autres sens. Un dîner dans le noir est pour nous très déconcertant. Pas de repères, une certaine angoisse, l’impression que l’espace est rétréci et nous n’osons plus bouger de peur de provoquer une catastrophe.
Mais peu à peu, les inhibitions s’envolent et au calme des premières minutes succède un brouhaha fait de rires, de conversations et surtout d’interrogations. On converse avec son voisin et on sympathise bien plus facilement que lors d’un dîner en plein jour, où la vue se charge d’établir un jugement hâtif.
Comment ça se passe ?
A votre arrivée, on vous fournira une bavette géante -bien plus utile que vous ne pourriez le croire- et on vous guidera jusqu’à votre table avec un bandeau sur les yeux. Certains restaurants emploient des personnes non voyantes qui vous serviront de guides tout au long du repas ; dans ces cas, l’obscurité est totale et vous n’aurez pas besoin de bandeau. Dans d’autres restaurants, le repas se passe dans la pénombre de façon à permettre aux serveurs, voyants cette fois-ci, de voir ce qu’ils font.
Une fois attablée, votre guide restera prêt de vous pour vous rassurer, vous aider dans ce nouveau monde fait de mystère et de surprises et pour prendre note de vos remarques concernant le repas. Des remarques qui ne manqueront pas de vous faire sourire quand, une fois le repas terminé, on vous dévoilera enfin le menu que vous venez de déguster.
Les résultats ?
Quand la lumière se rallumera à la fin du repas, vous n’en croirez sans doute ni vos yeux ni vos oreilles. Dans votre bouche, les saveurs, les textures et les parfums se sont mélangés et vous y avez sans doute un peu perdu votre latin. Ce que vous aviez pris pour une terrine de poisson s’avère en fait être du foie de veau. Difficile à croire qu’il soit possible de confondre viande et poisson, et pourtant, même les plus fins gastronomes s’y perdent. Même chose pour le vin, où certains amateurs de grands crus ressortent de l’expérience vexé d’avoir confondu vin rouge et vin blanc.
Sans la vue, reconnaître les aliments s’avère être franchement délicat. Il faut dire que 80% des informations que nous recevons passent par la vue. Et cette exclusivité pollue nos autres sens. Ainsi, il est possible de ne pas apprécier un met simplement parce que sa couleur ou sa texture nous paraissent déplaisantes. Preuve évidente que nos autres sens sont sous-exploités.